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Aventures au Népal
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Modérateurs:ATY001_Jacques, ATY002_Christian, ATY020_Yves, ATY029_Michel, com_press, ATY017_Yoann
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ATY020_Yves
samedi 18 avril 2015 - 01:55:09
Dir-Tech

Membre enregistré #43
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[suite de l'histoire]

Quand les passagers quittent un avion après un vol, la tradition veut que l'équipage se tiennent près de la porte pour les saluer et leur souhaiter un bon séjour. Nous ne dérogeons pas à la tradition et nous tenons juste à côté de la porte du poste de pilotage face à la cabine et nous remercions un à un les passagers qui descendent.

La plupart des passagers de ce vol sont des autochtones. Quelques touristes y sont toutefois mêlés. Pour ces touristes étrangers, rien de plus normal que de voir une femme copilote. Il n'en est pas de même pour certains Népalais qui s'étonnent de cette bizarrerie. Il s'en trouve même un ou deux que cela offusque.

Je m'attendais à cette réaction, mais pas aussi marquée. Je comprends mieux le regard d'Aruna au départ de Katmandou. Je décide de parler avec elle. Après tout, elle est amenée à voler avec nous sur chaque trajet en Jetstream, comme aurait dû le faire Shanti à l'origine. Je lui explique que piloter un avion n'est pas forcément une activité exclusivement masculine et que les femmes peuvent pratiquer aussi. D'ailleurs, aucune loi népalaise ne l'interdit.

Aruna en convient mais dit qu'il faut qu'elle se fasse à cette idée, c'est un peu nouveau pour elle, cette façon de voir les choses. Elle promet d'y réfléchir et de faire des efforts. Je l'en remercie, en mon nom, en celui de Shanti, mais aussi au nom de toutes le femmes du Népal. Du coup, elle se sent investie d'une mission. Celle de commencer à faire passer le message, même si elle sait que ce sera peine perdue. Pas bête, cette fille, on verra si elle ira jusqu'au bout...

Nous quittons l'aérodrome de Pokhara pour aller visiter la ville. Etant donné que Shanti est une habituée du trajet, elle me dit y avoir quelques connaissances que nous pourrions aller rencontrer ensemble, si je le veux bien.

Mon seul moyen pour savoir ce que la jeune fille a réellement en tête est de passer du temps avec elle. J'accepte donc, histoire de savoir si je vais pouvoir y voir un peu plus clair dans son jeu. C'est pas gagné !

Nous nous enfonçons dans la ville, typique du Népal, avec ses marchés aux mille couleurs. On y voit aussi, hélas, la misère et la pauvreté. Et pourtant, tous ces gens me paraissent d'une dignité à toute épreuve.

Tiens, il me vient une question que je n'ai jamais osé lui poser : "Shanti, tu veux bien me dire quel est ton salaire d'hôtesse ?
- Oh oui, me répond-elle, ce n'est pas un secret. Je gagne environ l'équivalent de deux cents euros par mois, c'est dix fois le salaire moyen ici. Un pilote peut aller jusqu'à quatre cents. On vit très bien avec quatre cents euros. On est considérés comme des notables. Mais si l'argent est le bienvenu, je n'ai jamais fait ce métier en ne pensant qu'à cela. Je pourrait le faire pour cinq fois moins.
- Voler te plait vraiment, au point de tout risquer pour cela ?
- Oui, mais c'est aussi un moyen de transport indispensable ici...et ailleurs...pour faire certaines choses.
- Quelles choses ? A part le tourisme et le transport de travailleurs...
- Je ne parlais pas de ça...".
Elle ne m'en dira pas plus, mais le pilotage et l'avion sont une partie intégrante de ses projets, cela ne fait aucun doute.
"C'est là ! me dit-elle soudain, venez, entrez...".

Nous pénétrons dans ce qui ressemble à une épicerie et après un échange bref entre le commerçant et Shanti, nous continuons vers l'arrière boutique. Salutations classiques à la népalaise et embrassades chaleureuses entre la jeune fille et nos hôtes. Elle me présente dans sa langue natale, ce qui fait que je ne pipe mot. A leur mine, je comprends l'admiration qu'ils ont pour moi. Shanti m'explique qu'ils me voit comme un maitre des pilotes. Ils n'ont pas totalement tort, car c'est bien notre rôle en tant qu'instructeur.

A ce moment là, ce que je prends pour un moine bouddhiste rentre, voit la jeune femme et la serre très fort contre lui. Shanti est presqu'en larmes.

"Yves, je vous présente...mon père. C'est fou, c'est un hasard, je ne m'attendais pas à le voir aujourd'hui, je le croyais à Nepalganj, plus au sud. Il se déplace beaucoup."

L'homme, d'une taille et d'une corpulence respectable, inspire la force et la sécurité. Celui dont vient la vérité. Je le salue humblement. Il m'invite à relever la tête. Il parle un français presqu'impeccable et sans accent notable.

"Monsieur Roillan, n'est-ce pas ? Ne vous méprenez pas, je suis très honoré de vous rencontrer. Même si je suis sur les routes du Népal, je me tiens au courant par les uns et les autres. Vous appelez ça le téléphone arabe, je crois. Ici, cela fonctionne très bien.
- Excusez-moi, monsieur, mais il y a quelque chose que je ne comprends pas : chez les bouddhistes, les moines font vœux de célibat, non ?
- Quand j'ai quitté le Tibet et que je me suis marié avec la mère de Shanti, je n'étais pas encore moine. Je le suis devenu après. J'ai pu garder mon statut d'homme marié tout en étant moine. C'est une situation exceptionnelle, dont peu sont au courant.
- Votre fille...commençais-je.
- Est comme la prunelle de mes yeux, me coupe-t-il. Elle est tout ce que j'ai aujourd'hui. Shanti ne vous l'a pas dit mais...
- Papa ! s'écrie alors la jeune fille.
- Il doit savoir. Sa mère est décédée d'une longue maladie, un peu avant votre arrivée au Népal."

Je vois les larmes couler le long des joues de Shanti. Malgré moi, cela me touche de la voir ainsi. Son père reprend : "Ecoutez, monsieur Roillan, je ne peux, pour le moment être près d'elle comme je le souhaiterais. Je ne peux vous en fournir les raisons, mais si je restais auprès d'elle, je la mettrai en danger. Cette idée m'est insupportable. Vous êtes son maitre désormais. J'espère que vous serez aussi son ami. On m'a dit grand bien de vous. On vous fait confiance au-delà de ce que vous pouvez imaginer. Je vous confie ma fille.
- Eh une minute ! protestais-je, j'ai rien demandé de tout ça moi. Je suis venu pour voler au Népal et me voilà avec une élève que son propre père me confie pour sa sécurité ?
- Vous êtes là pour bien plus que ça, mais vous ne le savez pas encore. cela viendra en temps et en heure. Vous voulez des réponses ? Alors ouvrez grands vos yeux et vos oreilles et regardez, observez, essayez de mettre tout ce qui vous parait étrange bout à bout.
- Sans vouloir vous offenser, monsieur, je n'arrête pas de voir des choses étranges, je n'y comprends pourtant toujours rien.
- Cela viendra. Le Sage a dit : vous apprendrez autant que vous enseignerez. Je dois partir maintenant.
- Papa ? s'enquit la jeune fille.
- Tu auras l'occasion de me voir souvent, ne t'inquiètes pas. Ecoute ton maitre. Ecoute-le aveuglément. Prends soins de toi..."

Sur ces paroles l'homme sort comme il est venu. Et je me retrouve là un tantinet perdu, pour le coup. Je sais pertinemment que je vais dans un sac à ennuis et quelque chose me pousse pourtant à ne pas m'enfuir en courant. Je vais finir par péter un câble, comme on dit.

Jusqu'à présent, j'ai fait confiance à mon instinct, et ça m'a plutôt bien réussi. Mais là...Ma propre confiance se trouve quelque peu ébranlée.

Shanti regarde sa montre. Le temps passe vite, et il va falloir repartir. Nous faisons le chemin inverse. La jeune femme ne dit mot, comme perdue dans ses pensées et ses sentiments. Elle vit le chaud et le froid en ce moment. Elle se sent sur un fil qui est à deux doigts de rompre, elle le sait.

Nous approchons de l'aérodrome, sans le voir encore pourtant. Tout en marchant, elle s'est imperceptiblement rapprochée de moi, me cherchant parfois du regard, esquissant un geste inachevé. Soudain, elle s'arrête :"Yves, je vous en prie, serrez-moi très fort dans vos bras, juste une fois, s'il vous plait...". Je ressens son désarroi, alors sans dire mot, je la prends contre mon corps et la serre fort. Je la sens trembler de tout son corps et des larmes perlent sur ses joues. Nous restons ainsi, je ne sais pas, peut-être cinq, dix minutes. Elle me regarde et se sépare de moi, comme à regret, comme une déchirure de plus dans sa vie. Je suis triste pour elle, mais qu'y puis-je...

Cette fois nous voyons l'aéroport, et histoire de lui faire un peu oublier sa tristesse, je lui lance : "Bon, cette fois, c'est toi qui décolle l'avion. Ne t'inquiètes pas, je serai aux commandes avec toi, comme tu l'as fait à l'aller.
- Vous croyez que je peux ?
- Oui, tout va bien se passer, le Jetstream est très doux à piloter, tu t'en sortiras très bien."

En fait, c'est un peu plus difficile que ça et elle le sait. C'est donc un nouveau défi que je lui lance. Au moins, ça aura le mérite de lui occuper l'esprit un moment. Et elle en a bien besoin.

[suite au prochain post]

[ Édité samedi 18 avril 2015 - 11:51:39 ]
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ATY025_Fredo
samedi 18 avril 2015 - 21:19:29
Fredo

Membre enregistré #51
Inscrit(e) le: mardi 22 juillet 2008 - 23:24:48
Messages: 1702
Pour ma part j'ai effectue mon premier vol de reconnaissance en MH53 de Katmandou a Lukla.
Tout s'est bien passe avec une bonne meteo. L'arrivee a ete un peu desastreuse du fait d'un probleme de texture sur la scene que j'avais installe.
Mais bon la machine monte sans problemes au FL130 et tiens un bon 100 kt sans chauffer de trop.
Au prochain vol nous verons un peu les autres AD de la region.
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ATY020_Yves
samedi 18 avril 2015 - 23:54:07
Dir-Tech

Membre enregistré #43
Inscrit(e) le: mardi 06 mai 2008 - 00:48:45
Messages: 1859
[Suite de l'histoire]

Avec le défi que je lui ai lancé, Shanti a l'esprit occupé. Le retour vers Katmandou va être sportif avec la météo nuageuse et la visibilité à sept kilomètres. Quand on avance à deux cents nœuds, les sept milles mètres sont vite parcourus.

Quand nous rejoignons l'avion, les passagers sont massés à proximité. Nous ouvrons la porte. Aruna, partie en ville, elle aussi, arrive d'un pas pressé. Elle court presque en direction de Shanti.

"Vite, Shanti, viens voir ce que j'ai trouvé au marché de Pokhara...".
Shanti, surprise du revirement d'Aruna à son égard, est assez intelligente pour jouer le jeu.
"Attends, j'arrive" lui répond-elle. Elles se mettent à parler boutiques et chiffons pendant dix minutes. J'interviens : "Euh, les filles, ça va ? Je vous rappelle qu'on a un vol à préparer !
- Oui, chef ! lancent-elles d'une seule voix en tentant de garder leur sérieux. Peine perdue. Cinq seconde plus tard, elles éclatent de rire en me regardant d'un air moqueur. Shanti qui retrouve le sourire, ça fait plaisir à voir.

"bon, sérieusement, les filles, les passagers attendent.
- Je m'y mets tout de suite, Yves, commence Shanti.
- Je m'occupe des passagers, pour les faire patienter un peu. On décolle dans combien de temps ?
- Il faut qu'on soit en l'air dans vingt minutes, réponds-je.
- C'est bon pour moi, j'ai une route, vous pouvez venir voir s'il vous plait ?
- J'arrive, Shanti. Aruna, comptez les passagers et préparez-moi la fiche de pesée, vous savez faire ?
- Pas de problème, commandant. Je fais ça régulièrement."

Je regarde le travail de Shanti. Là, je sens qu'elle veut m'impressionner. Elle a même prévu un départ avec passage verticale du terrain pour se retrouver au cap de la route sur SMR à la bonne altitude et ne pas être gêné par le relief. L'arrivée est standard, sauf qu'avec la nébulosité, ça risque d'être tendu. On ne passe pas haut au-dessus du relief dans la procédure.

Je m'attaque à la vérification de la fiche de pesée et montre du même coup à Shanti le book de performance avec les vitesses caractéristiques, V1, VR, et V2 à adopter en fonction de la masse au décollage du Jetstream.

Ma jeune élève me demande si elle peut faire la check prépa vol seule, quitte à ce que je vérifie après. Je le lui permets. Du coup, j'accueille les passagers avec Aruna.



Une fois tous les passagers installés, je retourne au poste de pilotage.
"Shanti, tu passes à gauche. Je te forme pour être commandant de bord, pas copilote !
- Mais je...
- Ta, ta, ta, ouste ! Place gauche ! Exécution !"

Elle obéit, avec appréhension et beaucoup de surprise. J'ai décidé de la bousculer, de la mettre en situation de stress. Quand on a la responsabilité de passagers, pas question de céder à la panique. On analyse, et on réagit.

Je vérifie que la préparation avion est correcte et ordonne à la jeune femme de mettre en route. Elle exécute la procédure de démarrage consciencieusement, elle sait qu'un seul oubli peut mettre le feu à un des moteurs. Inconvénient des turboprops à turbines liées.

Nous attaquons le roulage. Je laisse Shanti se débrouiller, et elle s'en sort très bien, jusque là...

Alignement, mise en puissance sur freins, et lâcher de ces derniers.

D'habitude, je suis aux commandes. Là, je laisse faire. Du coup, je ressens beaucoup plus l'accélération puissante des deux Pratt et Withney de mille chevaux chacun. Ça pousse fort. Très fort même.

Je fais le travail du copilote et annonce V1, rotation et V2. L'avion s'élève. J'annonce la rentrée du train. Shanti annonce la sécurité à gauche et commence à incliner pour un virage de deux cent soixante dix degrés. On aperçoit la piste de Pokhara, pas si longue que ça.



Shanti annonce la mise en route et le réglage des automatismes. Nous serons tranquille jusqu'à SMR. Après, ce sera plus tendu. La montée au niveau cent-cinquante révèle des reliefs bien découpés, même si moins haut que plus au nord.



Un peu plus tard, nous pouvons voir l'ensemble de la cuvette de Pokhara.



La croisière se passe sans fait notable. Shanti profite du vol en surveillant les points critiques de l'avion (EGT, givrage, route, autonomie, pressurisation, etc...). Elle est carrée pour une pilote privée. Elle a du en baver pendant sa formation initiale. C'est bon pour la suite. La qualification turboprop, c'est bien, mais il lui faut aussi sa qualification IR. Et ça, c'est pas évident en si peu de temps. Ou alors...Non ! Hors de question. Il reste le simulateur pour accélérer la formation.

Nous passons SMR, nous attaquons la procédure d'arrivée, donc la descente. Et la visibilité se dégrade franchement. Les sept mille mètres annoncés ressemblent plus à un mauvais cinq mille mètres.



Une fois passé le relief, nous finissons par voir le PAPI. C'est une bonne chose par cette visibilité pourrie.



"Tu te sens de le poser ? lui demandais-je.
- Euh...toute seule ? Non.
- Ok, tu fais, je te suis en double et je finirai l'arrondi. Approche à cent quinze nœuds tout sorti, ok ?
- Bon, je vais essayer...
- Shanti, tu as vingt trois passagers à bord, alors fais-le ou ne le fais pas, mais n'essaies pas.
- D'accord, je vais le faire. Vous m'aidez, hein ?
- Je ferai ce que j'ai à faire en tant que copilote, mais c'est le commandant qui pose l'avion. Cinq nautiques jusqu'au seuil, altimètre au QNH, cent vingt cinq nœuds.
- Shit ! c'est trop rapide, réduction, hélice condition "Flight", volets vingt cinq degrés, train sorti verrouillé.
- Ok, sois cool, pilote-le en douceur, tu sais faire...là...tout doux. Deux nautiques avant seuil.
- J'y suis, j'y suis, j'y suis..., répète-t-elle sans discontinuer.
- Tiens ton axe...Voilà, commence à arrondir. Regarde loin devant toi maintenant...Il vole encore...vingt pieds...dix...contact, laisse la roulette de nez se poser d'elle-même. Super ! Freine doucement, la piste est longue, tu as le temps.
- Piste dégagée par la gauche, annonce-t-elle. Hélices condition "Taxi", volets rentrés, je roule au parking.
- Tu vois, ce n'était pas si dur ! C'est pas mal pour une première. Tu n'es pas encore à l'aise, mais ça viendra. Tu es encore un peu derrière l'avion. Dans une semaine, tu seras loin devant."

Une fois l'avion au parking, nous stoppons et débarquons nos passagers. Une fois fait, Aruna demande à Shanti comment ça s'est passé. Elle lui répond que ce n'est pas aussi facile que ça en a l'air, qu'elle a encore beaucoup de travail pour être au niveau. Aruna apprécie sa modestie.

Entre-temps, deux Beech 200 se sont posés, eux aussi en provenance de Pokhara.



De retour dans mon bureau, je regarde la montagne par la fenêtre. Shanti frappe à la porte. Je l'invite à rentrer. Elle s'approche de moi et me serre dans ses bras : "Merci...merci pour tout ce que vous faites pour moi". Elle sort du bureau sans plus de discours.

[Suite au prochain post]

[ Édité lundi 04 mai 2015 - 20:39:04 ]
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ATY022_Michel
dimanche 19 avril 2015 - 20:46:07
Membre enregistré #133
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C'est un scenario de film, j'attends la suite avec impatience...
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ATY020_Yves
lundi 20 avril 2015 - 00:22:46
Dir-Tech

Membre enregistré #43
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Et la voici...

[Suite de l'histoire]

Mon bureau a beau être luxueux, ça n'en reste pas moins un bureau où on se sent un peu seul parfois. Je rédige la paperasserie habituelle après vol. J'appelle Menku, c'est le prénom de ma secrétaire, pour connaitre la destination de mon prochain vol.

C'est Biratnagar, code OACI : VNVT. Je regarde rapidement la navigation. Rien de franchement excitant, on pourra profiter du paysage. Oh, tiens, ça me donne une idée. Je regarde dehors, il fait beau, parfait pour ce que je veux faire.

J'appelle mon élève : "Shanti ? Tu prépares le Jetstream pour un vol VFR-IFR-VFR sur Baratnagar niveau cent-trente maximum. Tu peux être opérationnelle d'ici un quart d'heure ?
- Oui, je suis avec Aruna, je l'avertis et je prépare ça. Rendez-vous au parking ?
- Oui, et sur ce vol, c'est toi qui prends les décisions. Je suis ton copilote maintenant.
- Eh ! c'est pas une formation accélérée, c'est une formation fusée !!!
- Tu veux piloter ? tu en as l'occasion et les capacités, alors au boulot !
- Oui Maître." dit-elle avec la plus grande déférence.

C'est la première fois que Shanti m'appelle maître. Est-ce vraiment sincère ou ironique ? Bah, aucune importance. Enfin...si mais pas pour moi, pour elle. Elle cherche vraiment à m'impressionner, elle veut me montrer qu'elle ira jusqu'au bout, quelque soient les difficultés.

Alors je vais la pousser au stress. Elle va avoir un drôle de surprise pendant le vol. Pas le temps de réfléchir plus longtemps, c'est l'heure.

Je grimpe dans l'avion et prends ma place, non sans avoir jeté un œil en cabine. Une fois assis en place droite, je vérifie la préparation des systèmes. Pas de fautes, c'est tout bon.

Mise en route, repoussage et roulage. Oh, oh, nous sommes pas seuls pour Biratnagar. Un vieux DC3 et un Beechcraft 200 attendent au point d'arrêt.





Nous décollons. Enfin, non, je ne touche pas le manche, j'ai les mains sur mes genoux, c'est Shanti qui officie. Mes seules actions sont de rentrer le train et les volets sur son ordre.

Nous grimpons. Je profite de mon rôle passif pour profiter du paysage. Décidément, l'Himalaya reste magique. J'ai l'impression que tous les mystères du monde sont quelque part dans cette immensité blanche. Je comprends pourquoi le Bouddhisme et l'Hindouisme, deux religions tellement riches philosophiquement et culturellement, aient pris naissance dans cette région du monde.





C'est le moment de mettre mon plan à exécution. "Shanti ? appelais-je pour attirer son attention.
- Oui, Maître ?
- Ne m'appelle pas comme ça. Certes, je suis ton instructeur...
- Non, non, ne vous fâchez pas, vous êtes mon Maître comme un moine l'est pour son élève. J'ai appelé mon père longtemps comme cela, car il m'enseignais ce que je devais savoir.
- Hum, bon, d'accord, mais pas en public, vu ?
- Entendu, promit-elle.
- Bon, je t'impose une nouvelle règle. Tu es seule pilote à bord. Je ne suis virtuellement plus présent à bord. Mon rôle se cantonnera à t'observer et à observer tes réactions et les décisions que tu vas prendre.
- Jamais je vais y arriver !
- Alors arrête tout de suite ! C'est ce que tu veux ?
- Non, crie-t-elle presque.
- Alors fait ce que tu as à faire. Je ne t'ai jamais dit que ce serait facile."

Je sens son stress faire un bond vers le haut. Cela commence à m'intéresser. Voyons jusqu'où on peut aller. On devrait commencer la descente, mais je ne dis rien. Ma jeune élève m'annonce "Descente dans trois nautiques, altitude de la piste à deux cent trente sept pieds". Elle règle le sélecteur d'altitude, règle le torque et entame la descente au moment annoncé. On quitte le relief, il n'y a donc pas de précautions particulières à prendre. Shanti affiche un taux de descente à mille pieds par minutes pour commencer et allume les signaux de sécurité pour les passagers. J'entends l'annonce d'Aruna en cabine. Je n'y avais jamais prêté attention, car, en général, on est pas mal occupé dans cette phase du vol.



Je continue à observer Shanti de manière discrète et je sens bien la pression sur ses épaules. Elle hésite par moment, mais se reprend vite. Je laisse faire, et nous arrivons en finale. Du coup, elle fait toute ses checks seule et toutes les actions, train, volets...

Elle est bien sur la bonne pente, avec dix nœuds de trop toutefois. Elle s'en rend compte et réduit les gaz d'un bon centimètre. Du coup, elle n'en a pas assez, et repousse imperceptiblement la manette pour ajuster. Cette fois, c'est tout bon.



Nous nous posons en douceur et le roulage et le dégagement vers le parking ne pose aucun souci à Shanti. Avion stoppé, elle effectue la procédure d'arrêt et libère ses passagers. Car sur ce vol ce sont ses passagers.

Shanti me regarde, interrogative, attendant le debriefing avec une certaine anxiété. Elle sait qu'elle a eu des hésitations, des imperfections et elle s'attend à ce que je le lui reproche. Mais je ne dis rien, juste : "Tu t'occupes des papiers, du débriefing avec Aruna, tu consignes tout ça et tu me fais un rapport." Je quitte mon siège et descend de l'avion prendre l'air sans un mot de plus en plantant mon élève dans l'avion, toute surprise de ma réaction.



Au bout d'un quart d'heure, alors que je me ballade tranquillement sur l'aérodrome à proximité du DC3, Shanti me rejoint me tendant le rapport demandé. Je ne le lis même pas : "Très bien, tu peux le ranger avec les documents de bord, tu le signes avant.
- Mais, je n'ai pas le droit !" Je sors un stylo, appose mon numéro d'instructeur en bas de page et rends la feuille à ma jeune élève qui n'y comprend plus rien. "Maintenant tu as le droit de le signer. Je ferai la même chose sur ton carnet de vol.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Que tu avances dans ta formation, rien de plus. On se retrouve au bar ?
- D'accord."

Dix minutes plus tard, nous nous retrouvons Aruna, Shanti et moi-même à ce qui ressemble à un débit de boisson, non loin du bâtiment de la tour. Au bout d'un moment, après un bref échange entre les deux jeunes filles, Aruna s'éclipse justifiant un prétexte quelconque, me laissant seul avec mon élève. Je ne dis mot. Cela inquiète Shanti : "Maître, que se passe-t-il, demande-t-elle respectueusement.
- Un sentiment étrange, jeune élève, un sentiment que je ne saurai encore définir.
- A cause de moi ?
- Oui...et non. Je ne sais pas encore...Depuis que tu m'appelles Maître, je ne suis pas très à l'aise. Cela te gênerait beaucoup de ne plus le faire ?
- Je le fais parce que ce que je ressens est cela...Et continuer me permets aussi de séparer mon travail, apprendre à piloter, de ce que je ressens vraiment pour vous et que j'ai du mal à réaliser ou à admettre encore et même à savoir ce que c'est exactement.
- Attends, j'ai peur de comprendre, de quoi tu parles précisément ?
- Je ne vous crois pas assez bête pour vous faire en dessin. Mais je ne suis encore sûre de rien pour pouvoir mettre des mots dessus.
- Tu sais pourtant que c'est impossible d'imaginer quoi que soit, vu que je ne suis là que pour un temps limité.
- Hélas oui, je le sais bien. Merci de m'avoir écouté sans me juger. Mais permettez-moi de continuer à vous appeler Maître.
- Accordé, Shanti, je comprends tes raisons."

Ainsi, c'est donc bien ça. Je savais que j'allais dans un sac d'ennuis, et ben, j'y suis. Et je ne sais pas comment je vais me sortir de ça. Il va falloir improviser...

[Suite au prochain post]

[ Édité lundi 20 avril 2015 - 02:27:09 ]
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ATY002_Christian
lundi 20 avril 2015 - 06:44:12

Membre enregistré #6
Inscrit(e) le: jeudi 09 août 2007 - 22:08:48
Messages: 393
Bon y avait Shanti, maintenant Aruna mais toujours pas de photo c'est quoi cette cachotterie ??

Bravo Yves la lecture de l'aventure me fais oublier que mon avion est en panne. CH
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ATY001_Jacques
lundi 20 avril 2015 - 14:01:47

Membre enregistré #4
Inscrit(e) le: jeudi 09 août 2007 - 21:38:56
Messages: 271
trés belle continuité, que ce recit, mais pour rejoindre ce que dit Christian,pourrons nous un jour connaitre cette charmante Shanti.

Désolé, fallait pas nous en parler.
Peut ètre qu'aprés tout çà donnera l'envi à certain de devenir instructeur.
J'attend avec impatience la suite.

Jacques ATY001
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ATY020_Yves
lundi 20 avril 2015 - 23:42:42
Dir-Tech

Membre enregistré #43
Inscrit(e) le: mardi 06 mai 2008 - 00:48:45
Messages: 1859
A ceux qui s'attendent à voir des photos des hôtesses, c'est non, car comme ça, vous les imaginerez comme vous le souhaiterez.

[Suite de l'histoire]

Katmandou, Népal, 1999.

Je regarde par la fenêtre de ma chambre, il pleut, comme souvent en cette saison. Je retourne m'asseoir sur mon lit pour continuer le livre que mon père m'a rapporté. C'est "Le rouge et le noir" de Stendhal, transcrit en langue anglaise.

Ma chambre ferait envie à beaucoup de jeunes filles de mon âge. Je l'ai agrémenté de posters trouvés ça et là au marché de Katmandou auquel je vais une fois par semaine avec ma mère. Peu de famille ont les moyens que nous avons, même si nous pouvons pas nous considérer comme riche, même au Népal.

J'habite dans un quartier près de l'aéroport de Tribhuvan. Je vois passer les avions au-dessus de chez nous. Je n'ai jamais pris l'avion. J'aimerais bien, ça doit être génial. J'ai lu un magazine qui parlait d'avion, une fois. C'était très technique avec plein de mots savants comme profil d'aile, gouvernes de profondeur, enfin, des mots comme ça. Je ne sais strictement pas ce que ça veut dire, mais les photos étaient très belles.

J'adore mes parents. Ouais, je sais, c'est ringard de dire ça à mon âge. Ah oui, j'ai quatorze ans. Pour revenir à mes parents, je les adore. Ma mère est née ici, à Katmandou. Mon père, lui est Chinois d'origine et a émigré au Népal lors de l'annexion du Tibet par la Chine. C'est lors de ces troubles que ma mère et mon père se sont rencontrés et mariés. Pour une fois que c'est pas un mariage arrangé. C'est pas si courant dans ce pays.

Je connais mes oncles et tantes du côté de ma mère, mais par contre du côté de mon père, rien. Je n'ai jamais osé poser de questions à mon père à ce sujet. D'ailleurs, il y a des sujets qu'on aborde pas avec mon père. On ne contrarie pas un homme comme lui. Surtout de la part de sa fille.

Ah, j'oubliais, je ne suis jamais allée à l'école. C'est mon père qui me fait l'école et il m'apprend tout ce que je dois savoir. Dans une école normale, j'aurais environ deux ans d'avance avec sa méthode. Je parle deux langues couramment, le népalais et l'anglais, et je comprends le chinois. Je baragouine quelques mots de français que je commence juste cette année. Mon père dit que ça pourra toujours me servir, mais le français, c'est vachement dur !

On frappe à la porte de ma chambre, c'est mon père. Rentrer dans la chambre d'une ado sans frapper, même mon père sait que ça ne se fait pas. Par contre, je ne m'aviserai pas de lui refuser d'entrer, ça non plus, ça ne se fait pas ! Il entre donc.

"Shanti, je peux te parler ?
- Bien sûr, papa.
- Cela te dirait de partir faire un voyage avec moi ?
- Où ça ?" demandais-je. Mon père m'a déjà trimballé dans pas mal de petits villages au Népal, mais là, je sens que ça ne va pas être pareil.
"On va en Chine, plus exactement au Tibet, je voudrais que tu visites une véritable lamasserie tibétaine. On part en avion jusqu'à Lhassa et après, voiture jusqu'au monastère.
- Tout ce trajet pour visiter un temple ?
- Je dois voir des gens là-bas, et je voudrais te présenter à ces gens.
- Qui sont-ils pour que tu leur attaches autant d'importance ?
- Ne pose pas de questions maintenant, nous en discuterons en temps et en heure. Prépare tes affaires si tu veux venir.
- Je serai prête dans une petite heure, ça ira ?
- Parfait. N'emporte que le strict nécessaire."

Mon père sort comme il est rentré. Avec douceur et fermeté. Du coup ma mère monte m'aider à préparer un sac à dos, plus pratique qu'une valise. Elle y appose une étiquette dessus avec mon nom en népalais et en chinois : Shanti Shin Seng.

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[ Édité lundi 20 avril 2015 - 23:46:01 ]
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ATY020_Yves
mardi 21 avril 2015 - 02:10:11
Dir-Tech

Membre enregistré #43
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[Suite de l'histoire]

Nous passons la douane népalaise sans difficulté avant de monter dans l'avion. Mon père sait que je m'intéresse à l'aviation. Il me dit que c'est un Boeing 737 de AIR CHINA. Il n'y a qu'un vol par semaine pour Lhassa. Nous prenons place à bord. Je ne sais pas si c'est mon père qui a choisi, mais j'ai un siège près de la fenêtre. Enfin, c'est petit pour une fenêtre, c'est un hublot de la taille de deux mains côte à côte. On y voit pas grand chose, mais bon, on s'en contentera.

On roule sur la route qui mène à la piste. Mon père me dit que ça s'appelle un taxiway. Drôle de nom. Ah, ça y est on décolle, direction : la Chine.

"Shanti, commence mon père, une fois en Chine, fais exactement ce que je te dis.
- Oui, Maître." C'est comme ça que je l'appelle quand nous sommes que tous les deux en dehors de la maison. Il est mon père, ça, oui. Mais il est aussi mon maître, celui qui sait. Les deux ne sont pas antagonistes, juste complémentaires. Il reprend : "Nous n'avons pas que des amis là-bas. Je suis très sérieux. Tu te montres discrète et tu ne me lâches pas d'une semelle, compris ?
- Oui, Maître. Puis-je poser une question ?
- Je t'en prie.
- Pourquoi avons- nous des ennemis en Chine.
- Vois-tu, tout le monde ne pense pas comme nous, n'a pas les mêmes valeurs et n'apprécient pas forcément notre façon de vivre.
- C'est pour ça que tu ne portes pas ton habit traditionnel ?
- Oui, moi aussi, je dois passer inaperçu lorsque je vais là-bas. Le Tibet est ma patrie d'origine, mais aujourd'hui, on y tolère tout juste ma présence, et encore...
- Pourquoi m'emmener là-bas alors ?
- Je te l'ai dit, je voudrais te présenter à certaines personnes.
- Qui sont-elles ?
- Tu le sauras en temps utile." Fin de cette discussion.

Nous nous posons à Lhassa. Je ne pensais pas que ça pouvais être si grand, cet aéroport en plein Himalaya. Mon père nous fait passer la douane. Je suis collé à lui. Le douanier chinois me regarde, compare la photo du passeport avec ma bouille de pauvre gamine népalaise, et me dit d'avancer avec une pointe de mépris. Je ne le montre pas, mais sa réaction m'a choquée. Comment peut-on traiter les gens avec autant de dédain, comme des objets sans valeur ?

Je m'apercevrai qu'ici, c'est souvent le cas, et je n'y prêterai plus attention. A l'extérieur de l'aéroport, je suis surpris par le nombre de gens en uniforme. La police et l'armée chinoise est omniprésente. Mon père nous mélange rapidement à la foule.

On entre dans une épicerie et nous en ressortons aussitôt par une porte dérobée. Une voiture avec un chauffeur nous attend. Je me croirais presque dans un roman d'espionnage. Mon père m'en a fait lire quelques uns. Nous jetons nos sacs dans le coffre et nous embarquons. La circulation au Tibet n'est pas si différente de celle du Népal, désordonnée et dangereuse.

Nous quittons la ville au bout d'une demi-heure. C'est apparemment une longue route qui commence. Elle durera cinq bonnes heure. Puis nous nous arrêtons soudainement au bord de la route. Le coin est désert, en pleine montagne. Je commence sérieusement à flipper. Mon père s'approche de moi :
"Nous changeons simplement de véhicule...et de chauffeur. Celui-ci rentre sur Lhassa".

Effectivement, un bon quart d'heure plus tard, une autre voiture arrive en sens inverse, fait demi-tour et stoppe. Le chauffeur nous fait signe de monter. Et ça repart pour deux heures de route...si tout va bien. La route est carrément défoncée et nous sommes ballotés de droite à gauche sans arrêt.

Toutefois, nous finissons par arriver dans un petit village de montagne. Bizarre, il y a une caserne militaire et un monastère qui me parait en relativement bon état, vu de ma position.

Pour le moment, ce voyage me donne un goût amer. Mon père me saisit par le bras et m'emmène presque de force dans une petite cabane du village. Là, il me dit : "Tu as un lit, tu te reposes trois au quatre heures et surtout, tu ne sors pas d'ici avant que je ne te le dise, c'est clair ?"

C'est la première fois que je vois mon père comme ça. Il a peur. Il a peur pour moi. Et rien que ça, moi, ça me fait peur. Pourquoi il m'a fait venir ? A qui veut-il me présenter de si important ? Et si c'est si dangereux, pourquoi ma mère a accepté de me laisser faire ce voyage sans broncher ?

Bon, je suis trop fatiguée pour répondre, je m'endors en cinq minutes.

C'est mon père qui me réveille, et il le fait doucement, sans me brusquer. Je me lève, ça va mieux. J'ai la prudence de ne pas poser de question. Bien m'en pris. Une fois prête, je sors à la porte, mon père m'y attend.

"Viens, me dit-il. Il est temps que je te présente à des gens que j'estime beaucoup.
- Qui est-ce ?
- Ah, euh, hem...euh, tu le sauras bien assez tôt". C'est la première fois que je vois mon père hésiter comme ça à une question que je lui pose. Cela ne fait qu'attiser ma curiosité, mais je décide de ne pas insister. S'il y a une chose qu'il faut mieux éviter, c'est de contrarier mon père. Certains l'ont payé cher. Il ne me ferait pas de mal, ça, aucun risque, mais il y a mille moyens de punir quelqu'un...Et dans cette situation, il vaut mieux attendre.

Nous allons au monastère. Etrangement surveillé pour un temple. Des gardes armés sont à l'entrée. Oh, leurs armes sont à peine visibles, mais le renflement dans leurs vêtements révèlent bel et bien leur présence. Ils nous laissent rentrer et s'inclinent devant mon père. C'est donc un homme important ici. Nous traversons une cour immense et verdoyante, puis nous entrons dans une salle de petite taille.

Autour d'une table sont assis un certain nombre de personnes, plus ou moins âgées. Mon père prend alors la parole en chinois : "Je vous présente ma fille Shanti, c'est la première fois qu'elle vient ici et devant vous. C'est tout ce que j'ai fait de bien. Je vous demande...pardon, je vous implore de l'accepter parmi vous ici. Mon père se mit à genoux de la façon la plus humble que j'ai vu de toute ma vie. Et là, j'ai compris. D'un seul coup, comme une lumière qu'on vient d'allumer. Ces gens, autour de cette table...c'est ma famille. C'est ma famille chinoise, celle de mon père, et donc la mienne.

Mon père à vite perçu mon désarroi, alors, pour couper court, il me présente chacun des membres encore vivant de ma famille. Je sais déjà que c'est probablement la seule fois de toute ma vie que je les verrai.

[suite au prochain post]

[ Édité mardi 21 avril 2015 - 02:14:48 ]
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ATY020_Yves
mercredi 22 avril 2015 - 11:13:54
Dir-Tech

Membre enregistré #43
Inscrit(e) le: mardi 06 mai 2008 - 00:48:45
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[Suite l'histoire]

Aéroport de Lhassa, 1999.

Nous repassons la douane en sens inverse. Cette fois, je ne m'étonne plus de rien. Mon père et moi n'avons pas échangé un mot depuis notre départ du village. Nous montons dans l'avion. J'ai encore une place près du hublot, mais je n'ai pas le coeur à regarder. Trop de choses en même temps. Trop d'évènements depuis vingt quatre heures. J'ai pas beaucoup dormi, à peine somnolé un peu dans la voiture qui nous ramenait à Lhassa malgré les chaos de la route.

Mon père n'ose pas me dire quoique ce soit, il sait que je suis bouleversée. Mais moi, j'ai une question qui me brûle les lèvres. Je me lance : "Pourquoi, papa ? Pourquoi ne m'avoir rien dit avant ?
- C'était trop risqué, il fallait que je te protège, que je te cache. Quand tu étais plus petite, je militais pour un Tibet libre et j'étais un des initiateurs du mouvement. Si les Chinois avait connu ton existence, ils t'aurait prise pour faire pression sur moi. Je ne pouvais pas courir ce risque, je n'aurais jamais accepté de te perdre. Voilà pourquoi tu n'est jamais allé à l'école traditionnelle. Trop dangereux. Et pas question de t'emmener au Tibet à cette époque. Encore aujourd'hui, j'ai pris un gros risque.
- C'est pour ça que tu avais peur ?
- Tu l'as perçu, et pourtant, j'ai tout fait pour te le cacher. J'ai juste oublié que tu étais ma fille et qu'un père ne peut rien cacher à sa fille.
- Alors, pourquoi maintenant ?
- Une occasion s'est présentée. Je l'ai saisi, c'est tout, et tu est en âge de comprendre."

Avoir revu mon grand père, que je ne reverrai sans doute plus car il est très âgé, mais aussi mon oncle et ma tante et les gens proches de ma famille qui les ont aidé pendant les troubles, toute cette émotion me submerge. Je me penche sur mon père le serre fort et pleure doucement contre lui.

La bienveillance de celui-ci me laisse faire et je ressens aussi en cet instant tout l'amour qu'il a pour moi. C'est la première fois de ma vie que cela se manifeste aussi distinctement, que mon père s'ouvre de cette façon à moi.

Une fois à Katmandou, nous rentrons à la maison. Ma mère nous accueille et me prend dans ses bras doucement. Mon père lui fait signe de me laisser aller dormir un peu. De fait, je monte dans ma chambre. Mon père vient me voir et vient me border. Depuis que j'ai dix ans, c'est la première fois que mon père se comporte ainsi. Il ajoute : "je suis très fier de toi, je t'aime". Et c'est tout ce qu'il fallait pour me faire fondre en larmes. Mon père me caresse doucement les cheveux et quitte la pièce.

[Suite au prochain post]

[ Édité vendredi 08 mai 2015 - 15:03:23 ]
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